Régulièrement apparaît dans des publications féministes ou féminines le témoignage de femmes, jeunes ou moins jeunes, ayant cessé de se raser les aisselles et proclamant leur fierté d’avoir mis fin aux diktats masculins et leur satisfaction d’une liberté nouvelle ou retrouvée[1]. Ce genre de récit, qu’on pourrait qualifier de petite mythologie (dont Roland Barthes a donné moult exemples), est révélateur, à mon sens, de certaines limites et apories de la pensée contemporaine. Il repose en effet sur des oppositions qui restent largement impensées et fonctionnent de façon simpliste (ce qui est sans doute une des conditions de leur large diffusion).
D’un côté, il y aurait une société oppressive, organisée par et au bénéfice des dominants, dans ce cas les hommes, et qui imposerait des normes arbitraires, ici celles d’une supposée beauté ou d’un corps parfait, aux individus dominés, les femmes en l’occurrence. Et de l’autre, il y aurait des personnes opprimées, aliénées, soumises à des injonctions constantes et générales. La révolte contre les normes serait donc la condition d’une libération au moins mentale de celles-ci.
L’arbitraire des normes
Une telle mythologie est difficile à démonter d’abord parce que cette « déconstruction » risque d’apparaître comme antiféministe — sur ce point, il faut réaffirmer que chacun, chacune est bien évidemment libre de se raser ou non les aisselles —, ensuite parce qu’elle semble s’appuyer sur une évidence sociologique, largement admise, à savoir l’arbitraire des normes sociales. Quelques précisions sont cependant nécessaires à ce propos. Les normes sociales sont dites arbitraires parce qu’elles varient grandement selon les sociétés : « Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà » affirmait déjà Blaise Pascal. Et cette évidence semble confirmée par de multiples exemples comme la diversité des langues humaines, des coutumes, des organisations sociales. Pour les sciences sociales, il s’agit là d’un a priori épistémologique, énoncé par les fondateurs de la discipline, Émile Durkheim et Marcel Mauss, pour qui les faits sociaux (et la culture au sens le plus large du terme) ne peuvent pas s’expliquer comme faits de nature ou comme la conséquence de faits naturels[2] mais doivent l’être par d’autres faits sociaux[3]. Mais cela ne signifie pas que les sciences sociales se contentent d’affirmer et de répéter cet arbitraire fondamental des normes, et elles cherchent évidemment à expliquer — par des « causes » sociales — pourquoi et comment ces normes ont été établies, pourquoi et comment elles ont perduré ou perdurent encore. Autrement dit, les faits sociaux peuvent être considérés abstraitement comme arbitraires mais concrètement comme déterminés par des causes sociales. En outre, toutes les sociétés, aussi libérales soient-elles, imposent des normes parfois fort contraignantes : ainsi aujourd’hui, personne n’affirmerait que le « consentement » dans les relations sexuelles est arbitraire sous prétexte qu’il est et était secondaire sinon inexistant dans des sociétés anciennes ou éloignées.
Si l’on considère à présent le rasage des aisselles féminines, on remarque d’abord qu’il s’agit d’une pratique qui relève d’une constante anthropologique consistant à modifier l’apparence corporelle : toutes les sociétés humaines pratiquent ainsi des modifications corporelles, que ce soit de façon légère (les coiffures, les peintures sur la peau, les maquillages…) ou de façon importante et souvent brutale (les plateaux labiaux, le cou allongé par des anneaux des femmes Pandaung, les déformations des crânes des nourrissons notamment chez les Mayas ou les Incas, les scarifications, les pieds bandés des Chinoises, les circoncisions, les clitoridectomies et infibulations…). Les significations en sont multiples et souvent difficiles à expliciter : si la beauté est souvent évoquée en Occident, ces modifications corporelles marquent souvent l’appartenance à un groupe social (privilégié ou non) ou ethnique, à un sexe, à une classe d’âge, à un « état » culturel, religieux ou autre (les moines bouddhistes ou les militaires au crâne rasé, les peintures de guerre des Amérindiens…), et la tradition en est souvent la justification essentielle aux yeux des individus qui les pratiquent. Néanmoins, dans les sociétés occidentales modernes et individualistes, cette justification cède souvent la place aux préférences ou aux goûts supposés personnels alors que s’offre par ailleurs une diversité de pratiques et de produits entre lesquels les individus doivent opérer des choix. Cette diversité est cependant dénoncée par d’aucuns comme une illusion masquant les effets de la mode, des injonctions, des stéréotypes et au final des normes s’imposant en particulier beaucoup plus lourdement aux femmes en ce domaine.
La pratique sportive
Cette affirmation critique mérite cependant d’être nuancée. En effet, on observe facilement que les hommes dans les sociétés occidentales contemporaines (mais également ailleurs) se soumettent à des pratiques corporelles équivalentes et subissent des injonctions similaires en ce domaine : tous les jours, les hommes se rasent ou se taillent la barbe sous peine d’apparaître comme « sales » ou « négligés ». Coiffure et habillement font également l’objet d’une attention constante bien que différente selon les individus. Beaucoup plus significative cependant est la pratique sportive à laquelle les hommes, jeunes et moins jeunes, consacrent aujourd’hui un temps parfois fort important. Cette pratique s’est imposée tout au long du vingtième siècle à travers notamment des modèles corporels masculins promotionnés par le cinéma, la télévision, la publicité ou les spectacles sportifs, et elle s’est certainement intensifiée au cours des dernières décennies. Dans ce cas aussi, la justification par le souci de « la bonne santé » ou de « se maintenir en forme » apparaît comme largement illusoire. Il est peu vraisemblable en effet que des individus jeunes se préoccupent réellement de leur santé future, une préoccupation qui n’apparaît qu’avec l’âge et qui rend d’ailleurs l’exercice sportif plus pénible (à cinquante ans, on prend un abonnement à une salle de sport mais on abandonne rapidement après quelques séances…). La pratique sportive à partir de l’enfance et de l’adolescence débute certainement avec des injonctions ou sollicitations parentales, mais elle ne se maintient et ne s’intensifie que parce que l’individu y trouve des avantages ou des bénéfices. Parmi ceux-ci, l’amélioration esthétique de l’apparence corporelle (sur le modèle de l’athlète aussi bien antique que moderne) joue certainement un rôle essentiel, qu’elle vise seulement une satisfaction personnelle ou plus largement une augmentation des chances sur le marché érotique ou matrimonial. Si les normes de la beauté corporelle semblent à première vue plus prégnantes pour les femmes que pour les hommes, la pratique sportive masculine révèle qu’en la matière, les choses sont beaucoup plus équilibrées qu’il n’y paraît. Bien entendu, les individus réagissent très diversement à ces normes, certains cherchant à s’y conformer par une pratique plus ou moins intensive, d’autres y renonçant plus ou moins complètement et souffrant dès lors du « regard » d’autrui posé sur eux (parce que trop gros, trop peu musclés, bedonnants…).
Il faut rappeler que, dans nos sociétés complexes, les comportements ont des causes multifactorielles, et l’on peut ainsi relever que la pratique sportive (qu’elle soit d’ailleurs masculine ou féminine) s’explique également par tout le système de compétitions qui l’organise et qui distribue aux meilleurs compétiteurs des récompenses symboliques ou, pour une minorité, financières. La « société » n’impose donc pas seule un « modèle » de comportement à travers des injonctions plus ou moins explicites (« Faites du sport, c’est bon pour la santé »), et les individus opèrent des choix en fonction de leurs positions et de leurs dispositions sociales[4] mais également des bénéfices (ou des désavantages) qu’ils en escomptent. Mais le système des compétitions sportives et le plaisir qu’on peut éventuellement y trouver comme participant ne constituent qu’un aspect du phénomène qui ne doit pas masquer le désir intime de modifier et surtout d’améliorer son apparence physique. Autrement dit, le travail sur le corps, qu’il soit masculin ou féminin (comme le rasage des aisselles[5]), s’explique pour une grande part sinon une part principale par le souci de l’estime de soi et par la recherche de l’approbation d’autrui (dans les relations interpersonnelles) ainsi que par la concurrence sur le marché érotique : l’on s’habille mieux, l’on se maquille plus, l’on se coiffe plus soigneusement quand l’on sort en boîte que quand on va au travail…
Musclé et épilé crédit photo : Ricardo André Frantz |
Le caractère foncièrement multifactoriel des comportements, qui ne résultent jamais uniquement de l’imposition de normes sociales et impliquent une adhésion active des individus (qui y trouvent des avantages ou des bénéfices), est largement masqué ou ignoré par les acteurs eux-mêmes qui expliquent très généralement leur comportement et surtout celui d’autrui comme la conséquence d’un seul facteur « déterminant ». Cela apparaît facilement si l’on considère un phénomène comme les tatouages. Depuis quelques décennies, ces inscriptions corporelles se sont répandues dans les sociétés occidentales alors qu’il s’agissait jusque-là d’une pratique très minoritaire et stigmatisée (associée, dans le meilleur des cas, aux marins et, dans le pire, aux délinquants...). On retrouve alors, sur cette pratique, deux points de vue opposés : pour les personnes qui n’apprécient pas ce genre de décoration corporelle, il s’agit typiquement d’un « effet de mode » dont sont « victimes » celles et ceux qui y recourent ; en revanche, les tatouages sont considérés par leurs adeptes comme un libre choix (ne serait-ce que leur motif !) et il n’y a nulle contrainte ni aliénation due à la mode ou à des influences extérieures comme celle du groupe d’appartenance ; et ils estimeront généralement que les opposants ou les critiques sont victimes de « préjugés » liés à l’âge ou à la condition sociale. Les deux points de vue sont donc unilatéraux et masquent la complexité des motivations et des déterminants sociaux du comportement (par exemple, l’influence des pairs).
Le rasage des aisselles comme tout travail sur l’apparence corporelle ne résulte donc pas uniquement de la présence notamment dans les médias de modèles ni d’une « norme » générale de comportement, et s’explique par des raisons multiples‡ qui ne sont pas « arbitraires » et qui ne résultent pas seulement d’une soumission passive à une forme plus ou moins voilée de domination. Comme les autres modifications corporelles dans notre société, cette pratique s’explique par un souci esthétique visant à améliorer l’estime de soi et à susciter l’approbation d’autrui, même si elle résulte également d’une intériorisation d’une image de la « féminité » véhiculée par les médias[6].
Mais, à l’inverse, il faut également expliquer le cheminement qui amène certaines personnes, certaines femmes[7], à rejeter ce qui apparaît à leurs yeux comme une contrainte insupportable. Ce cheminement est généralement décrit comme débutant par une aliénation subie de façon largement muette avant qu’une prise de conscience inattendue agisse comme une révélation permettant à l’individu d’accéder à une véritable libération psychologique et comportementale. Mais les révélations — religieuses ou mentales — ne surviennent pas dans la pureté d’une conscience repliée sur elle-même et trouvent leur véritable origine dans un univers fortement socialisé. Deux grandes idéologies peuvent être évoquées à ce propos.
Dans notre société profondément individualiste[8], la première valorise toutes les formes d’anticonformisme, de révolte ou de rébellion contre « l’ordre social ». Ce sont les artistes romantiques qui, les premiers sans doute, ont généré la matrice de cette idéologie selon laquelle « l’homme a rarement tort, et l’ordre social toujours »[9]. Quand un phénomène se généralise comme ce fut le cas pour le rasage des aisselles féminines à partir de la seconde moitié du vingtième siècle sous l’influence en particulier du cinéma américain[10], cette généralisation apparaît alors comme une « norme », une « injonction », un « impératif » nécessairement contraignant pour l’individu qui est ainsi appelé à se révolter, à se rebeller pour affirmer son identité singulière. Le profit d’une telle attitude de rébellion est sans doute moins la sensation d’une liberté nouvelle que la reconnaissance symbolique qui en est attendue : le paradoxe en effet de cette attitude destinée à affirmer la singularité individuelle est qu’elle doit être publiée, affichée même, que ce soit en littérature dans le cas des écrivains romantiques[11], ou dans la presse ou sur les réseaux sociaux par des personnalités plus ou moins connues ou des anonymes comme c’est le cas pour le refus du rasage des aisselles. Sans cette « publicité », le geste sera insignifiant et il faut le « sortir » de la sphère intime pour lui donner une portée symbolique, celle de la « liberté » opposée au conformisme social.
La seconde idéologie qui soutient une telle attitude est bien sûr le féminisme qui, depuis, longtemps, stigmatise les stéréotypes de genre, notamment ceux liés à l’apparence corporelle. Dans cette perspective, le rasage des aisselles serait une norme imposée exclusivement au corps féminin, et l’émancipation supposerait d’y renoncer. L’injonction féministe serait en l’occurrence : ne pas tenir compte de l’apparence physique, ni la sienne, ni celle des autres (l’accusation de grossophobie est une formulation explicite d’une telle injonction). Autrement dit, dans un tel contexte, le refus du rasage apparaît comme un acte « militant » et comme un signe d’appartenance ou de ralliement à un groupe dont on partage désormais les normes. Ce qui explique dans ce cas aussi la nécessité de la publicité (plus ou moins importante) faite à cet acte « militant ». D’un point de vue sociologique, il n’y a pas en effet de « libération » mais bien l’affirmation de nouvelles normes concernant l’apparence physique des femmes : sans tomber dans les stéréotypes machistes sur les « féministes » à l’apparence « virilisée », ces groupes imposent implicitement certaines normes, au moins « négatives », comme le refus des signes d’une féminité exacerbée, celles pinups, des « bimbos », des femmes « objets » : le corps, même s’il reste « travaillé », se doit d’être discret, non « sexualisé », effacé derrière la parole militante. Pour celles et ceux qui trouveraient cette affirmation caricaturale, l’on peut prendre les exemples d’autres groupes comme les gauchistes ou les écologistes où le costume trois-pièces et le look des jeunes cadres dynamiques sont fort peu représentés. Et, sur ce point, l’on peut suivre Pierre Bourdieu qui, dans La Distinction, signalait que les normes partagées souvent sur le mode du « cela va de soi » s’appuient moins sur des affirmations de goût explicite que sur des dégoûts, c’est-à-dire sur le rejet des normes concurrentes.
Une masculinité surlignée ? |
Il faut d’ailleurs remarquer que le refus du rasage des aisselles ne met certainement pas fin, chez ses adeptes, à tout ce qu’on a appelé le travail sur le corps, mais ces autres pratiques plus ou moins importantes, plus ou moins visibles — coupe et lavage des cheveux, hygiène corporelle, usage de déodorants, choix de l’habillement, maquillage éventuel, manucure, épilation plus ou moins importante (ne serait-ce que d’un seul poil incongru !)… — ne sont pas quant à elles vues comme aliénantes, ni comme des contraintes sociales dont il faudrait absolument se « libérer ». Or, la « libération », si une telle attitude se voulait cohérente, devrait concerner l’ensemble des « soins » corporels perçus comme des normes sociales imposées à la subjectivité individuelle ; mais les seuls individus qui s’affranchissent de tout souci corporel sont, on le sait bien, des personnes plus ou moins complètement désocialisées comme les clochards. Autrement dit, la « libération » individualiste vis-à-vis d’une norme sociale comme le rasage des aisselles reste en fait très limitée, ponctuelle même, pour une raison fondamentale, fondatrice même de la réflexion sociologique, à savoir que la subjectivité est entièrement traversée sinon constituée d’une multitude de normes sociales auxquelles nous adhérons volontairement même si c’est le plus souvent sur le mode du « cela va de soi » (selon l’expression de Pierre Bourdieu).
Expliquer un choix libre
Il ne s’agit pas ici de critiquer ni encore moins de ridiculiser des choix personnels concernant le rasage des aisselles ou plus largement l’apparence corporelle, mais d’éclairer à travers cet exemple la spécificité de la démarche sociologique et de la distinguer de l’usage qui peut être fait de ce savoir dans l’espace public, usage que l’on peut qualifier d’idéologique dans la mesure où il sert à légitimer des pratiques tout en masquant leurs motivations réelles (ou du moins certaines de leurs motivations). Comme projet scientifique, la sociologie vise à décrire et à expliquer (le plus souvent dans un même mouvement intellectuel) la réalité ou du moins certains phénomènes considérés comme de nature sociale (ce qui suppose d’ailleurs une définition préalable qui n’est pas nécessairement consensuelle) : dans cette perspective, l’opposition entre des normes qui seraient imposées aux individus et une liberté subjective semble largement illusoire, et il convient d’expliquer le choix apparemment « libre », comme celui qui est à première vue soumis à des normes « extérieures », par des causes et des raisons de nature sociale (c’est-à-dire partagées par des groupes d’individus occupant des postions similaires). Dans les deux cas, l’explication sera multifactorielle, et les normes, explicites ou implicites, ne seront qu’un des facteurs à prendre en compte comme on l’a fait ci-dessus. Des attitudes ou des comportements en apparence opposés relèvent, dans une perspective sociologique, d’un même modèle explicatif où les normes impliquent une intériorisation et sont de fait soumises à des évaluations subjectives suscitant une adhésion plus ou moins large à ces normes. Et, encore une fois, l’opposition simpliste entre conformisme et liberté ne rend pas compte des comportements différents des uns et des autres et masque souvent les déterminants et les motivations réelles de ces comportements.
1. Voir les références en bas de ce texte.
2. Durkheim « bataille » également beaucoup avec la psychologie pour affirmer l’autonomie de la sociologie.
3. Même si cette affirmation s’appuie sur des faits d’évidence, il s’agit plus d’un a priori épistémologique que d’une réalité incontestable, notamment parce qu’il n’est sans doute pas actuellement possible de tracer une frontière étanche entre la supposée nature et la culture comme le montre notamment l’éthologie de Frans de Waal. L’anthropologie de Philippe Descola questionne également ce grand partage propre aux sociétés occidentales.
4. De la position sociale dépendent notamment les opportunités de pratiquer un sport en termes notamment d’équipements sportifs et de possibilités d’entraînement. Les dispositions résultent pour une part de l’intériorisation des normes parentales : les pères mais aussi les mères dans une moindre mesure vont favoriser chez leurs enfants des sports qu’ils connaissent déjà et qu’ils pratiquent ou ont pratiqués. (Cf. : Martine Court, Corps de filles, corps de garçons : une construction sociale. Paris, La Dispute, 2010.)
5. Un certain nombre d’hommes, sans doute minoritaires actuellement, pratiquent le rasage de aisselles mais aussi des parties dites intimes.
6. Les raisons esthétiques qui justifient habituellement le rasage des aisselles impliquent que les poils soient en eux-mêmes « disgracieux », « laids », « vilains »… Cette conception (qui est évidemment arbitraire…) mériterait un très long développement pour être expliquée.
7. On peut supposer que cette décision — rasage ou non — appartient largement aux femmes elles-mêmes, et que leurs compagnons (éventuellement compagnes) se contentent d’y acquiescer comme c’est le cas en général du choix des seins nus (ou non) sur les plages comme a pu le constater Jean-Claude Kaufmann : « Le corps est à soi, toute décision le concernant ne peut être que personnelle […] la négociation conjugale est inexistante, le silence épais, la décision secrète et souveraine » (Corps de femmes, regards d’hommes : sociologie des seins nus. Paris, Pocket, 1998, p. 79-80).
8. D’un point de vue anthropologique, on peut se référer aux travaux de Louis Dumont (notamment ses Essais sur l’individualisme. Une perspective anthropologique sur l’idéologie moderne, Paris, Seuil, 1983), et, dans une perspective plus sociologique, à Luc Boltanski et Ève Chiapello, Le Nouvel Esprit du capitalisme (Paris, Gallimard, 1999) et en particulier à la récupération par le capitalisme de ce qu’ils appellent la « critique artiste » qui entendait privilégier la singularité individuelle face au conformisme social.
9. Alfred de Vigny, Stello, 1832.
10. Beaucoup d’actrices italiennes comme Sofia Loren ont longtemps refusé cette mode venue de Hollywood au moins jusque dans les années 1960.
11. Une mise en scène exemplaire de la publicité d’un acte en principe privé sinon intime est visible dans le film de Céline Sciamma, Portrait de la jeune fille en feu (2019), où la réalisatrice montre de façon particulièrement appuyée que son héroïne interprétée par Adèle Haenel a des aisselles poilues, ce qui ne doit pas être compris comme un détail de nature historique mais comme un manifeste : elles ne sont pas rasées.
Références
On trouvera facilement sur Internet des pages qui font la promotion du refus de certaines femmes du rasage des aisselles et des poils en général, au nom du naturel, du féminisme, de la liberté, d’une acceptation de son corps et de soi-même, du rejet de la norme et de l’aliénation, d’un désir de « casser les codes » ou « les tabous »… Voici par exemple quelques pages consultées le 22/11/2023 :
Parents
Sud Info
La Libre
7 sur 7
L'Express
7 sur 7
7 sur 7
Au féminin
L'Express
La Recouserie
Au féminin
Libération